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Homme pressé (suite de l')
Faire un effort pour me concentrer. OK, Alex et moi on est rentrés dans la boîte, oui, c'est ça. On cherchait l'homme pressé, c'est ça. Bon.
L'intérieur du Ditchy Hell, c'est un peu comme la bibliothèque de Babel, mais sans les livres. Des salles hexagonales, reliées entre elles par des couloirs ou des portes, des salles-puits qui s'étendent sur plusieurs niveaux. Au lieu d'y trouver l'ensemble fini des idées de l'humanité on y découvre l'ensemble nettement plus fini de ses perversions. Ca fait frimeur, de dire ça comme ça, mais il n'y a rien que de très habituel : drogues en tous genres, comme ce siècle aime à les produire, androgynes de quinze ans draguant des transsexuels adolescents, vieux pervers cherchant à se satisfaire sur la jeunesse mourante de la banlieue. Trafiquants surarmés, décadents surmaquillés, fêtards surdéfoncés. Il n'y a pas trop de monde, on est en semaine. On arrive à se déplacer sans avoir à jouer des coudes, merci bien, par contre on a du mal à s'entendre. De loin en loin, d'énormes baffles imposent une techno violente et difficilement supportable pour moi qui me suis arrêté aux Beatles et à Led Zeppelin. Et puis il y a toutes ces vidéos dont les images crépitent avec les spots me donnant l'impression d'être plongé en permanence dans un clip psychédélique et de voir le monde en 10 images/seconde.
Je vois l'homme pressé qui avance dans une des salles de gauche, il traverse les lieux comme un requin dans son corail familier, laissant derrière lui une trace rémanente. Son costume chic ne détonne pas au milieu des couleurs violentes et métalliques des habits Sauvages. Une moitié de la population danse au fond des puits, l'autre moitié est vautrée sur les banquettes, et la vibration sourde des baffles me fait trembler comme un immeuble japonais. Nous suivons l'homme pressé.
Et maintenant encore, les baffles me font trembler dans ce réduit où je suis échoué avec Joey, ça ne m'aide pas à penser.
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