Homme pressé

J'essaye de faire revenir les images sur la surface façon télé en panne qui me sert de cerveau. J'ai mal au crâne, faut absolument que j'essaie de me souvenir du truc. L' homme pressé, c'est comme ça qu'Alex l'avait appelé. Je me souviens, maintenant. On était sur le parking de la boîte et il était descendu de sa voiture. C'est vrai, ça, moi et Alex on est aussi sortis de la voiture, sur le parking de la boîte, là où l' homme pressé avait garé la sienne (de voiture). Il est grand et mince, dans un élégant costume très bien coupé. Il marche vite, son attaché-case à la main. Il va vite, très vite (sa carrière est en jeu ?), il passe entre les sauvages et les junkies qui traînent sur la langue du Ditchy Hell, il disparaît dans l'écoeurante lumière rose de l'intérieur. Tout autour de nous de la fumée sort des grilles d'aération, les spots qui la balayent créent d'étranges nuages lumineux, jaunes, bleus ou verts pâles dans une triste parodie de film de Ridley Scott. La bouche du Ditchy Hell crache son haleine de musique et de drogue et je demande :

- Qu'est-ce qu'il est allé foutre là ?

- Il a bien le droit de s'amuser, répond Alex. On y va ? Il paraît que les filles sont bonasses à l'intérieur... Ils distribuent de la Loladrine pour les plus jolies, alors tu crois qu'y en a qui viennent !

- Tu connais cet endroit ?

Il baille et me regarde d'un air méprisant :

- Ben oui ! Je suis un habitué de première, le barman me dit bonjour en me voyant et il a toujours une bouteille de côté pour moi... Eh ! Tu parles au roi de la nuit !

Alors je le crois, et on y va.

Les deux étaient une erreur : le croire, et y aller, mais alors je ne le savais pas et ma mission me poussait en avant. Je devais suivre ce type.

Au milieu des fumées à la Ridley Scott, de chaque côté de l'entrée, deux énormes gars montent la garde. La moitié de l'un d'entre eux pèse déjà deux fois plus lourd que moi et je suis sûr que sa main fait le tour de mon cou sans problème. Alex et moi semblons ridiculement petits à côté d'eux... Ils nous regardent en biais, d'un air mauvais de chien de garde conditionné. Alex leur sourit, fait un petit signe de la main ; eux lui rendent leur sourire, vous savez un de ces sourires aux canines aiguisées, façon Masaï. Mais ils nous laissent passer...

Alors là, je suis sidéré. Ce crétin connaît vraiment cette boîte ! Moi qui croyais qu'il frimait !

J'avais pas tort. Et on a été déglutis par la gorge du Ditchy Hell à la suite de l'homme pressé. Et puis on a été digérés, bouffés par le truc. Je ne sais pas s'il va me faire ressortir avant de me faire passer par les bains d'acide de l'estomac...