|
Labyrinthe
Retour à maintenant, ici et maintenant. C'est ici que nous sommes, c'est ici qu'ils nous on emmenés. Une petite salle métallique, avec le bruit (beaucoup plus fort que dans les Salons) et les vidéos. Il y a une porte qui donne sur le dédale, une porte encore fermée, on nous a dits que ça allait s'ouvrir bientôt. Le Labyrinthe, j'en ai déjà entendu parler, c'est le plus célèbre des snuff-movies qui se vende sur le marché noir... Je ne savais pas qu'ils le tournaient ici... Des pauvres gars courent dans des couloirs, avec un mec drogué et armé comme un porte-avions lancé à leurs trousses. Ce gars, c'est le Minotaure. Si les autres trouvent la sortie du laby avant lui, ils ont gagné la vie sauve, sinon...
Je me suis toujours demandé où ils trouvaient leurs victimes.
Maintenant, je le sais.
Mais il y a des questions douloureuses qui me hantent, malgré l'effet de la drogue qui diminue, malgré la peur qui monte :
- Comment on va se sortir d'ici ?
Joey se secoue la tête, il a l'air à peine plus frais que moi :
- T'en fais pas, je suis un spécialiste des Labyrinthes...
- Tu m'en voudras pas si je suis sceptique, je réponds.
Son hochement de tête m'indique que non, il ne m'en voudra pas.
Nous restons ainsi immobiles pendant des minutes ou des heures à cavaler le long des vibrations douloureuses de la techno, le malaise est toujours là mais je suis maintenant assis à la table, la petite table, avec Joey en face de moi.
Il joue avec un paquet de cartes, un paquet de tarots, j'aime bien les tarots, ouais, ça pourrait peut-être nous aider tout ça ?
- Tire les cartes, Joey...
- Pourquoi ? Tire-les toi-même, je ne tire jamais les cartes, jamais moi-même...
- Pourquoi t'as un paquet, alors ?
- Trop long à expliquer... Tiens, vas-y. Tire les cartes, j'interpréterai.
Je prends le paquet et feuillette les dessins psychédéliques qui ornent les bouts de carton. Crowley était vraiment fêlé, complètement disjoncté. Les flashs de l'éclairage renvoient une lueur fluo à la place du blanc alchimique, tant pis. Battre les cartes, penser à la question. La question... Elle est simple.
- Comment sortir d'ici ?
Joey hoche la tête. Je tire alors cinq cartes, lentement, une par une, je les pose sur la table, en croix, une au milieu, comme il faut, comme il faut toujours. A gauche, une fille transparente sur fond de statue égyptienne, les couleurs dansent autour d'elle, elle a l'air pure et innocente, XX, l'Eon, le Jugement, le juge, le flic, c'est moi, non ?
- Pourquoi tu serais le Jugement ?, demande Joey.
- Laisse, c'est une vieille affaire entre les Laughlin et moi..., je réponds.
Je ne sais plus ce que je dis, la drogue me donne une drôle de lucidité. A droite, suspendu sur fond glacier, le pied pris dans un ankh le Pendu sans visage écarte les bras. XII.
- Ça c'est moi, dit Joey... Dans le film que je tourne, je joue un mec pendu à la fin, c'est moi le pendu... Si je suis à droite, ça veut dire que je dois t'aider, je suis ton pote...
Je ricane bêtement, interprétations à deux balles, le tarot bourré ne me réussit pas. En haut, je retourne la carte, on dirait un Picasso rouge, cubiste et violent, les flammes jaillissent d'une gueule terrible comme la tour s'effondre. Joey continue :
- Notre situation, ouais. La tour. XVI. Ça brûle, c'est la merde, c'est l'incendie, faut qu'on se tire, jusque-là c'est clair...
Avant que je puisse continuer, il retourne la carte d'en bas, bleue comme l'autre est rouge, une jeune fille renverse des coupes d'où coule un liquide fractal qui s'enroule en tourbillons géométriques et dans le ciel brille l'étoile à sept branches et le ciel s'enroule autour d'elle comme de l'eau... L'étoile, XVII. A ton étoile, Joey...
- Ouais, l'étoile, l'étoile doit nous guider. C'est comme ça qu'on doit sortir de cette merde, l'étoile...
- Joey ! Je gueule. On est en sous-sol ! Y a pas d'étoiles !
Mais il s'en fout, il retourne la carte du centre, celle qui domine tout, celle qui résume nos possibilités, et c'est le mat, zéro, un blaireau en vert rigole bêtement et flotte sur un tourbillon blanc créé par une petite colombe et le lion lui mord la jambe. Mat, joker, qui surplombe nos carcasses en se marrant, inaccessible, complètement jeté... Complètement barge, il ricane comme un lutin Unseelie, comme... Oui.
- C'est le fou qui nous sauve, dit Joey. Ouais.
Et il ramasse les cartes. Juste à temps.
Retour du nazi de tout à l'heure (ou était-ce il y a deux semaines ?) et de son pote la brute.
- Allez, les amis, dit le nazi. Vous devriez vous réjouir, vous allez jouer !
Quand un type sort un truc pareil, le mieux est de trouver une répartie subtile pour le mettre à sa place. Toutefois, un cerveau stable est une arme nécessaire pour trouver des réparties subtiles et je n'en dispose pas pour le moment. C'est pourquoi je ne proteste même pas quand ces deux brutes nous soulèvent comme des sacs de patates, ouvrent la porte et nous jettent dans le Labyrinthe.
- Bye bye ! Braille le nazillon.
C'est parti pour une bonne partie de snuff movie. Je ne sais pas si le tarot va nous servir beaucoup...
C'est là que se passe un étrange phénomène, une division de mon âme en deux consciences séparées, une qui flash-backe sur Alex et l'autre qui s'engage à la suite de Joey dans le labyrinthe. La drogue qu'on m'a versée a vraiment des effets bizarres...
|