Ostro

Quand est-ce que j'ai vu Ostro, récemment ?

Les images de mon supérieur dansent dans ma tête.

- Ostro, qui c'est, ça Ostro ?, me demande Joey, complètement raide.

- C'est mon chef, Ostro, je lui réponds, en essayant de mettre le doigt dessus. Ostrogradsky, il s'appelle.

Ostrogradsky. Il était accompagné d'Erwin Talès. Ouais. Un commercial.

C'est le bureau d' Ostro, je me souviens.

Il fait presque nuit et les tours de la Défense brillent de tous leurs feux, nouveaux astres de la nuit. Le bureau d' Ostro est peu éclairé, juste une lampe de bureau dont la lumière dessine une tache ronde sur les papiers éparpillés. D'un côté du bureau, votre serviteur, de l'autre côté, se découpant sur les arbres de Noël géants du dehors, Ostro et Talès. Je ne le vois pas bien, Talès, mais je l'entends. Il a une voix coupante, triangulaire comme une lame de guillotine :

- Voici un dossier sur monsieur Francis Vouivre, monsieur K.

Je le prends et le feuillette. Quelques pages, une photo, un état civil. Le type a un air désolant d'ingénieur commercial bon teint, dynamique, au regard ouvert et franc. Tout de suite, je sens que je n'aime pas ce Vouivre, faut pas me croire soupçonneux, c'est comme ça.

- Monsieur Vouivre est un de nos clients, nous lui vendons de l' Acide et il le revend à des détaillants... Je le soupçonne d'en mettre une bonne quantité de côté, sous prétexte de détruire des doses de mauvaise qualité...

Là, je stoppe :

- Attendez... Les stocks que vous lui donnez ne sont pas soumis à un contrôle qualité ? Vous revendez de la merde ?

Sa voix devient sévère, du genre : " ce ne sont pas vos affaires, K., alors restez en à vos enquêtes et laissez-nous vendre nos produits ! ".

- Monsieur K., les stocks que nous donnons à des gens comme Vouivre sont les fins de série, les fonds de bouteille, ce qui reste au fond des cuves. Et lui les écoule à bas prix. Je veux simplement savoir s'il est honnête avec nous et s'il nous donne bien l'argent qu'il nous doit, c'est tout. La façon dont C.B.M mène ses affaires ne vous regarde pas !

La guillotine est tombée, le sifflement de la voix s'est tu. Talès se lève et quitte la pièce sans un courant d'air. Je reste seul avec Ostro, qui me dit :

- La prochaine fois, fermez votre gueule, K.

Et après on me demande d'avoir l'esprit d'entreprise.