Roman et jeu de rôle


Je suis tombé dans l’écriture par le jeu de rôle, je sais que je ne suis pas le seul auteur de ma génération pour qui c’est le cas, même si pour chacun les relations entre les deux activités sont différentes. Dans mon cas, les elles sont étroiement liées : mes premiers textes de fiction étaient des récits d’évènements survenus pendant/autour de mes parties. Le jeu m’a aussi permis d’essayer des personnages, des situations, qui se sont, pour certaines, retrouvées dans des récits romanesques ou des nouvelles...
Le Royaume blessé est né d’une série de scénarios que j’ai fait jouer à la fin de 1994 : les personnages joueurs (Selaya Ap’Rilke, Angus, Gartfield, Alvin, et Moko Ap’Fenris) après quelques aventures en pays Kelte se sont retrouvés à faire partie de l’entourage d’un jeune homme promis à un brillant avenir, Allander Ap’Callaghan. Selaya Ap’Rilke a notamment été la dernière maîtresse du père d’Allander, et la joueuse et moi avions décidé qu’un fils naîtrait de cette union, nommé Eylir, comme son père.
De nombreuses aventures plus tard, le petit garçon a grandi sous l’aile de sa mère, et quand la campagne s’est terminée (un peu après la mort d’Allander), j’ai eu envie de raconter l’histoire du petit frère du grand conquérant. Je l’ai très vite vu adulte, un héros parti sur un mauvais chemin, finissant par se retrouver dans un marécage après une bataille perdue...
J’ai gardé ces images longtemps, ainsi qu’une idée générale de la vie d’Eylir, sans jamais rien en tirer.

A l’usage, j’ai tendance à trouver que l’écriture et le jeu de rôle font difficilement bon ménage. Certes, le jeu procure des idées, des mondes, des personnages et un sens de la profondeur du background. Mais il donne aussi nombre de tics d’écriture, comme une certaine tendance à beaucoup trop décrire, trop expliquer, et il ne fournit pas de bonnes intrigues : des intrigues basiques, acceptables en jeu parce que vécues et individualisées par les joueurs, ne rendent rien dans des textes. Certains auteurs, comme Jean-Philippe Jaworsky avec Janua Vera, se sortent plutôt bien de ce piège. J’étais très méfiant à l’idée d’importer des scènes « jouées » dans un roman. Il en est quand même resté quelques unes :
- La rencontre d’Allander et de Rhadamathe, au chapitre I
- La mort d’Angus, au chapitre II, sans doute un de mes moments de jeu favori, inspiré très fort par le meurtre d’un de ses généraux favori par Alexandre le Grand.
- Plus quelques passages de l’excursion dans les marais des morts.

Autre rapport entre ce roman et le jeu, en 2000 j’ai participé à l’organisation d’un Grandeur Nature nommé le Haut-Royaume. Les trois premiers récits de Kyle ont été écrits tout autant pour le roman que pour fournir aux joueurs une partie de l’ambiance de l’univers du jeu. Et quelques (rares) personnages du GN se sont retrouvés dans le roman : Kulayn Ap’Callaghan, les frères Ap’Horn, les différents alliés foireux d’Eylir à l’époque de sa guerre, et Lamarck, le marchand un peu louche qui tente de le faire évader (qui était joué sur le jeu par David Calvo).

Après toutes ces pages, je continue à trouver que le jeu de rôle (sur table) est une activité merveilleuse, stimulant l’imagination, permettant les plus belles des rencontres. Et dont les moments de beauté, à moins d’être transformés après coup, ne restent que dans les mémoires de ceux qui les ont partagés.