Joey (Joey Adam Ferssen)
Il est affalé dans son coin, acteur défoncé échoué dans ce coin perdu de l'univers. Je ne sais pas pourquoi il me suit mais il me fait de la compagnie maintenant qu' Alex a disparu. Voici son histoire :
- Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça... Ce Cassiel qui me poursuit, ce rêve d'être un autre qui me hante, ça ne concerne que moi. Je n'ai pas le droit de t'impliquer dedans...
La jeune fille assise en face de lui à la table de l'auberge le regarda d'un air compatissant. Elle était jolie, avec une peau mate et de beaux yeux sombres, un regard de velours avait dit quelqu'un. Ses longs cheveux noirs tombaient en boucles soyeuses sur ses épaules nues. Elle lui prit la main avec légèreté, comme pour le rassurer, comme pour les rapprocher, les isoler malgré la foule des clients tardifs et les musiciens qui accompagnaient la scène du son aigre de leurs instruments celtes traditionnels.
- Ne t'en fais pas, je t'aiderai à t'en sortir. Fais-moi confiance...
-COUPEZ !
Les musiciens arrêtèrent brusquement de jouer, les figurants cessèrent de parler. Soudain, la dure réalité envahit la salle de l'auberge, l'œil noir des caméras entra dans le champ de vision de Joey,la chaleur des projecteurs se rappela à lui. Il se redressa et regarda la réalisatrice en fronçant les sourcils :
- Qu'est-ce qui n'allait pas, cette fois ?
Madame De Kiersmaker s'avança sur le plateau et de sa voix qu'elle savait rendre à la fois douce et impérieuse, répondit à Joey :
- Vous n'êtes pas en état de continuer, monsieur Ferssen. Il pourrait être tentant de revoir votre contrat pour y ajouter une clause vous interdisant totalement l'usage de stupéfiants avant le tournage.
Joey était indigné ; il se leva et se planta face à la réalisatrice, regardant droit dans les yeux l'étrange femme albinos qui mettait en scène ce film impossible.
- Madame, je suis indigné de vos soupçons ! Je n'ai rien consommé depuis hier !
Elle haussa les épaules et eut un petit sourire ironique qui l'agaça :
- Dans ce cas, c'est que vous êtes mauvais. Venez demain, et prenez un peu de cocaïne ou d' Acide, vous serez peut-être meilleur ?
Et, très élégante, elle retourna parler aux techniciens, l'ignorant superbement. Samira, l'adolescente qui jouait la prostituée avec qui son personnage parlait pendant la scène, se leva et lui prit le bras :
- Viens, Joey. Elle a raison, on était pas très bons. On recommencera demain...
Joeyse laissa entraîner jusqu'à sa loge. Il aimait bien Samira, mais elle n'aurait pas dû s'attacher autant à lui. Il ne méritait pas une fille pareille, il n'était même pas amoureux d'elle... Tandis qu'elle était folle de lui, se pliant à tous ses caprices, faisant n'importe quoi pour lui plaire.
Quand ils ressortirent tous les deux de la loge de Joey, près d'une heure avait passé. Ils s'étaient changés mais Joey avait gardé la chemise à jabot du tournage. Il aimait bien ce genre de fringues. Samira avait réussi à le convaincre de sortir, aller dans un endroit où il pourrait oublier ce tournage énervant et cette réalisatrice aux idées bizarres. Ils engageaient de drôles de gens, chez MultiStim, depuis quelques mois... Et alors qu'ils traversaient le hall, Joey se rappela une autre femme aux idées bizarres qu'il avait rencontrée dans les couloirs de l'immeuble, quelques jours plus tôt. Ça pourrait valoir le coup de lui rendre visite.
- Ecoute, Samira, je suis désolé, mais j'avais totalement oublié... Je dois voir quelqu'un, OK ? On sortira une autre fois...
Elle eut l'air triste, comme si elle avait deviné qu'il allait rendre visite à une autre fille, mais elle se contenta de répondre :
- Comme vous voudrez... A bientôt, Joey...
Il s'engouffra en courant dans les ascenseurs. Il ne connaissait pas son nom, mais il avait vu qu'elle travaillait dans l'atelier Conception du secteur Virtual Reality.
Quand il arriva près des grands bureaux vitrés, il l'aperçut qui sortait de la salle aux photocopieuses. Elle portait une liasse de documents à la main. Il s'approcha d'elle :
- Bonsoir Mademoiselle... Vous vous souvenez de moi ?
- Ah ? Monsieur Ferssen...
Elle lui sourit et lui tendit la main ; il la prit et la porta à ses lèvres (il avait appris à faire le baise-main pour un film qu'il avait tourné ; ce talent lui servait souvent en société) ; cela la fit un peu rougir.
- Je... je venais vous voir parce que...
C'était rare qu'il hésite en parlant aux femmes, mais elle avait quelque chose qui l'intimidait un peu. Elle l'encouragea du regard :
- Vous veniez me voir pour quoi ?
- Vous devriez jouer dans le film qu'on tourne. Vous ressemblez à Cleo. C'est le personnage féminin... Vous devriez la jouer... Venez avec moi, je voudrais en parler à Madame de Kiersmaker, elle a tellement de mal à trouver quelqu'un de convenable...
Elle eut l'air un peu triste :
- Elle me l'a déjà proposé, mais je ne peux pas. Je suis désolé, monsieur Ferssen...
- Mais pourquoi donc ?
Il avait parlé si fort que quelques personnes des bureaux se tournèrent pour le regarder.
- J'ai des raisons tout à fait personnelles, monsieur Ferssen. Mais c'est très gentil à vous d'être monté me voir... Maintenant, je dois vous laisser, j'ai du travail. Encore merci...
Et, avant qu'il ait pu dire quoi que ce soit, elle se faufila près de lui et entra dans un bureau, lui lançant un sourire au passage.
- Attendez, mademoiselle... Mademoiselle ?
Il ne connaissait même pas son nom.
Enervé, il manqua d'envoyer un coup de poing dans la porte de l'ascenseur. Puis, pour se calmer, il ouvrir une mignonnette et en but le contenu d'un trait.
Dans le hall de l'immeuble, Samira l'attendait. Ils montèrent dans la voiture de Joey et ils roulèrent en trombe vers le Ditchy Hell.
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